Nous sommes en 1830. Le terme « catamaran » n’existe pas encore en France[1]. Aussi quand les bordelais construisent leur premier bateau fluvial à deux coques, le nommèrent-ils simplement « bateau-fuseau » ou « bateau-burden ». Nous vous présentons quelques articles de presse de l’époque sur ce sujet.
1. Journal Politique et Littéraire de Toulouse du 4 août 1836
Toulouse, 25 avril.« Il est arrivé depuis deux jours dans notre bassin de construction du canal du Midi un bateau à vapeur dit « Bateau-Fuseau », construit d'après le mode américain, et ainsi appelé parce que le corps du navire repose sur de très-longs fuseaux, placés horizontalement, qui plongent seuls dans l'eau.Ces tuyaux en forme de fuseaux sont creux, purgés d'air et entretenus dans cet état par des pompes aspirantes qui fonctionnent seulement lorsque le vide cesse d’être aussi parfait qu'il peut l'être dans un appareil de ce genre. La grande roue motrice est placée dans le milieu du bâtiment, et le remous de l'eau opéré par son mouvement de rotation vient frapper le long des faces intérieures des fuseaux et ne peut se propager au-delà ; il est nul par conséquent pour les francs-bords du canal.La cheminée, jusqu'ici très-haute dans les bateaux de ce genre, ne s élève pas sur le pont du navire, et ne peut gêner ainsi ni la manœuvre, ni les passagers : le tuyau conducteur de la fumée est placé derrière, dans le corps même du navire et va déboucher à bord de la flottaison. Ce simple exposé des modifications opérées dans ce bateau à vapeur suffit pour faire comprendre son importance et son utilité. On ne sera pas surpris, d'après ce qui précède, qu'il cale à peine un pied et demi, que les dommages que la navigation peut entraîner par le canal du Midi sont nuls, qu'enfin le passage des ponts n'exige plus les moindres abaissements de tuyaux conducteurs.Ce bateau a été construit à Bordeaux. On dit qu'il fera le trajet de Toulouse à Cette; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il doit partir prochainement pour cette dernière ville. »
2. Revue de Toulouse - n°1, 1836 - article de Félix Borrel
« Sur la Garonne, le bateau à fuseaux de M. Foll , mécanicien de Bordeaux, a mis près de 100 heures effectives pour remonter jusqu’à Toulouse, chargé seulement de sa machine de la force de 18 chevaux environ.Comme il ne serait pas prudent de naviguer de nuit sur une rivière, ce temps correspondrait à un trajet de plus de huit jours, pour la remonte du bateau remorqueur tout seul. Le trajet serait beaucoup plus long, si le remorqueur était obligé de traîner à sa suite une file de bateaux, quelque système qu’on employât, remorque directe ou remorque à l'aide de points fixes.La navigation à la vapeur ne donnerait aucun avantage et serait plus coûteuse; elle n’est bonne que sur les parties de rivière à faible pente, à largeur considérable, où le halage des chevaux est difficile, et sur la mer où il est impossible Alors la vapeur rend de grands services, parce qu’elle fournit un moteur continu, et permet de se passer du vent dont la force est toujours capricieuse et souvent contraire.Elle est encore utile pour la descente des rivières et pour le transport des voyageurs, parce que la vitesse due à l’action de la vapeur se joint à la vitesse naturelle de l’eau, ce qui permet des voyages rapides.Mais sur les rivières de faible largeur, sur les canaux où le halage est facile, le halage aux chevaux est préférable, tant il y a de force perdue dans le jeu des palettes des bateaux à vapeur, et dans la grande quantité de fluide qu’il faut mettre en mouvement pour déterminer la marche du bateau. Cette force perdue est si grande, que quatre chevaux attelés au bateau-fuseau de M. Foll, lui firent prendre autant de vitesse que les dix-huit chevaux-vapeur de la machine, dans l’essai qui fut fait de ce bateau, sur le canal du midi, en présence de MM. les ingénieurs de ce canal.Sur les rivières qui ont peu deprofondeur, il est inutile de songer à se servir des bateaux à vapeur pour remonter directement des marchandises; le poids de la machine absorberait seul la calaison des bateaux, qui sembleraient, et se trouveraient, en réalité, faits uniquement pour porter des machines. Or, ce n‘est pas le but que nous devons rechercher. »
3. Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale - vol. 36, p 200 - mai 1837
« M. Castera expose qu’on rendrait la navigation sur nos rivières moins dangereuse, de manière à en faire un objet de promenade, si l’on adoptait la construction des bateaux doubles, semblables à ceux qu’il a déjà fait connaître parmi les appareils de sauvetage qu’il a imaginés.M. le baron Seguier doute que le genre de bateaux proposés par M. Castera puisse remplir les conditions de sécurité et de vitesse qu'il croit y trouver. Il rappelle que s'étant livré à la construction d'un bateau composé de deux fuseaux de 100 pieds de long , qui a été imité par des constructeurs à Nantes, Bordeaux et Rouen, il a reconnu que le peu de largeur de nos rivières était un obstacle à l'adoption de ce système, qui ne peut avoir de chances de succès qu'autant que les fuseaux sont placé à une distance assez grande les uns des autres.
4. Annales Maritimes et Coloniales, vol.23 p 1028
« MM. Gautherin (Jean-Baptiste), officier de marine retraité, et Fol aîné (Pierre), ingénieur-mécanicien, demeurant, le premier, cours de Gourgue, n° 18, et le second, quai de Bourbon, n° 327, à Bordeaux, département de la Gironde ; auxquels il a été délivré, le 27 avril dernier, le certificat de leur demande d'un brevet d'invention de quinze ans, pour un bateau à plans inclinés, propre à naviguer sur les rivières, fleuves et canaux, soit au moyen de la vapeur, soit par le tonnage (sic) ou par l'emploi de la force animale. »[1] Ce terme est emprunté au mot tamoul « catamaron » qui désignait un radeau à deux fuseaux. Les anglais utilisaient cependant le terme « catamaran » depuis 1697.